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Plus loin, l’herbe géante, ainsi qu’une forêt.
Vers l’azur entrevu dresse ses cimes blondes
Où le soleil ondule ainsi qu’un flot doré ;
Et puis c’est le murmure accoutumé des ondes,
Et le fleuve, ruisseau maintenant, reparaît ;

Des plaines de limon étrangement fécondes
Surgit, comme au hasard de toutes les saisons,
L’exubérante flore éparse par les mondes ;
Et dans l’effeuillement fauve des floraisons
Notre âme s’attardait parmi des fleurs immondes.

Nous marchions : devant nous, des profondeurs d’un val
Jusqu’au dôme éperdu des feuillages sans date,
En gerbes d’émeraude opaque et de cristal,
Jaillit en bouillonnant la source de l’Euphrate
Avec un bruit harmonieux de clair métal ;

Fardé, comme au printemps, de fleurs roses et blanches,
Debout dans la clairière, éternel et fatal,
Et ployé jusqu’au sol sous l’orgueil de ses branches,
L’Arbre de la Science du Bien et du Mal
Raidit son double tronc bombé comme des hanches.

Au pied de l’arbre avec des fleurs sur ses genoux
Notre âme dit : Voici le fruit où l’on s’étanche ;
Et je pris d’elle un fruit, et je le trouvai doux ;
Nous nous complaisions dans cette ombre qu’épanche
L’arbre, et la volupté des dieux entrait en nous ;

Heure folle ! — puberté de songe : nos rêves
Prenaient vie aux seuls vœux des désirs créateurs,
Mais, joie extasiée, afin que tu t’achèves.
Sur nous l’arbre du mal amoncelait ses fleurs,
Et des siècles passaient comme des heures brèves…

La fin nous est venue, ainsi, comme une mort ;

L’ange vengeur du doux péché d’Adam et d’Ève,
Dans l’immobilité d’un simulacre d’or.
Tient de son poing crispé le flamboîment du Glaive,

Et l’Eden apparaît, là-bas, comme un décor !…