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LAZARILLE

en même temps la porte à mon réconfort et l’ouvrant à mes peines ! »

Ainsi me lamentais-je, pendant que mon inquiet charpentier, avec beaucoup de clous et de planchettes, mettait fin à son œuvre, en disant : « À présent, messieurs les traîtres rats, il vous faut changer d’avis, car céans vous ferez mauvaise besogne. »

Dès qu’il sortit, j’allai voir son ouvrage et trouvai qu’il n’avait laissé trou quelconque au vieux et triste coffre, pas même un par où pût passer un moustique. Je l’ouvris avec mon inutile clef, sans espoir d’y rien pouvoir prendre, et y vis les deux ou trois pains entamés, que mon maître croyait grignotés, dont je tirai quelque misère, les effleurant fort délicatement, à la façon d’un adroit escrimeur. Mais comme la nécessité est une grande maîtresse et que la faim me tourmentait nuit et jour, je pensai au moyen de me conserver la vie ; et il me semble que pour trouver ces pauvres remèdes, la faim m’était une lumière : aussi bien, dit-on, qu’elle aiguise l’esprit, tandis que la satiété l’émousse, ce que j’éprouvais en moi-même.