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DE TORMÈS

servit guère, car rien n’échappait à l’astuce du maudit aveugle. Il se leva, me saisit par la tête et s’approcha pour me sentir : sûrement, comme bon chien de chasse, il avait dû reconnaître à mon haleine ce que j’avais mangé. Et pour mieux s’informer de la vérité, avec la grande rage qui l’étouffait, il me prit la tête à deux mains, m’ouvrit la bouche plus que de raison, et inconsidérément y plongea son nez, qu’il avait long et effilé, et qu’en ce moment la colère avait accru d’une palme, en sorte que sa pointe touchait mon gosier. Alors la grande peur dont j’étais saisi, la vitesse avec laquelle j’avais avalé la saucisse, qui n’avait pas encore eu le temps de se loger dans mon estomac, et surtout l’invasion de cet amplissime nez qui me suffoquait à demi, toutes ces choses jointes furent cause que le vol et la gloutonnerie se manifestèrent et que la saucisse