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LAZARILLE

Et autres gentillesses, qui, à mon goût, n’en étaient pas.

À demi guéri que je fus de mes tristes plaies et meurtrissures, considérant qu’avec peu de coups semblables le cruel aveugle se passerait de moi, je voulus me passer de lui ; mais je ne le fis pas sur-le-champ, préférant attendre une occasion plus sûre et plus profitable. Et quand bien même j’aurais voulu calmer ma rancune et lui pardonner le coup de cruche, le mauvais traitement qu’à partir de ce jour le méchant aveugle m’infligeait ne me l’eût pas permis, car, sans cause ni raison, il me frappait, horionnait et pelait la tête.

Et si quelqu’un lui demandait pourquoi il me traitait si mal, aussitôt il contait l’histoire du pot : « Prendrez-vous encore mon garçon pour un innocent, hein ? Croyez-vous que le diable lui-même en saurait faire autant ? » Les gens qui l’avaient écouté se signaient, en disant : « Mais voyez donc ! Qui eût supposé si grande malice en un si petit garçon ? » Et ils riaient beaucoup de mon artifice et disaient à l’aveugle : « Châtiez-le, châtiez-le. Dieu vous le paiera. » Et lui,