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PRÉFACE

si je dis mensonge, tu me frappes soudain de ta colère et me fasses mourir ici même, et que si, au contraire, je dis la vérité en affirmant que ce bras est celui de messire saint Luc, ton très digne chancelier, oh alors ! mon Seigneur, fais, non point par vengeance, mais pour le bien de la vérité, que ta sentence tombe sur celui-ci, de telle manière qu’il ne puisse, ni avec sa langue, ni avec ses mains, confesser sa faute. » À peine avait-il terminé sa conjuration, que Frère Mariano, comme c’était convenu entre eux, commença à tordre ses mains et ses pieds, à hurler, à balbutier de la langue, sans réussir à prononcer une parole, à tourner ses yeux, contracter sa bouche et raidir tous ses membres, et finalement à se laisser choir en arrière. Le miracle rendu ainsi manifeste aux assistants, tous ensemble se mirent à crier si fort miséricorde, que s’il eût tonné en ce moment, nul ne s’en serait aperçu. Frère Girolamo, voyant le peuple surexcité comme il le voulait, pour l’enflammer davantage, commença à crier : « Loué soit Dieu ! Silence, mes frères ! » Et chacun s’étant tu, il fit prendre Frère Mariano, qui singeait le mort, et l’ayant fait porter devant l’autel, dit ceci : « Messieurs et mesdames, et vous gens de cette contrée, je vous prie, par la vertu de la sainte passion du Christ, de vous agenouiller tous et de dire dévotement un Pater en l’honneur de messire saint Luc, pour les mérites duquel Dieu veuille, non seulement rappeler à la vie ce malheureux, mais lui rendre l’usage de ses membres et de sa parole, afin que son âme n’aille point dans l’éternelle perdition. » Au commandement du frère, chacun se mit à prier, et lui étant descendu de la chaire et ayant avec un couteau rogné un morceau de l’ongle de la miraculeuse main, qu’il mit dans un vase d’eau bénite, il ouvrit la bouche du frère Mariano, y fit couler la précieuse liqueur et dit :