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PRÉFACE

bourreau, etc. La Renaissance devait renoncer en Espagne à ces litanies lourdes et monotones ; elle leur substitua un moule plus léger, le dialogue à la Lucien, qui fit fureur un moment, dans la première moitié du xvie siècle, et qui, manié par un Valdès, mordait cruellement et portait loin. Cent ans plus tard, Quevedo reprenait le genre, et, dans ses Songes, l’amenait à sa perfection espagnole.

Notre roman n’est en principe qu’une forme rajeunie et développée de ses satires scolastiques et lucianesques ; ici encore, et surtout dans le Lazarille, premier essai de la nouvelle manière, nous retrouvons une suite de tableaux d’états du monde ou de conditions sociales. La seule innovation est le fil qui relie ces portraits les uns aux autres, et d’isolés qu’ils auraient pu rester, sans perdre beaucoup de leur charme, en a fait les épisodes d’une histoire ; l’unique travail a consisté à fondre en un récit, à rapporter à un individu une série plus ou moins longue d’études de mœurs détachées.

Quels types et quels milieux nous dépeint l’auteur du Lazarille et quel a été son plan, si tant est qu’il en ait eu un bien arrêté ? Il semble qu’il se soit proposé surtout de nous présenter quelques variétés des plus répandues des classes souffrantes et misérables, que leurs souffrances et misères fussent le fruit de la fatalité, ou de leurs vices, ou encore de certains préjugés, non dépourvus de grandeur, mais devenus puérils dans une société nouvelle et transformée. Les trois premiers portraits du livre au moins, les seuls qui soient étudiés, répondent à cette intention que nous croyons découvrir chez notre auteur.

D’abord un type de mendiant dépravé, de gueux retors, qui sait par toutes sortes d’ingénieuses pratiques solliciter la charité des petites gens, l’aveugle ou le ciego, marchand d’oraisons pieuses, guérisseur et pronostiqueur ; puis le curé de village, cruel et rapace, qui tond l’autel,