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DE TORMÈS

« Des chanoines et des dignitaires de l’Église, oui, j’en ai trouvé assez, mais ce sont gens si limités que le monde entier ne leur ferait pas forcer le pas. Des gentilshommes de moyenne taille me prient aussi, mais servir telles gens c’est grande fatigue, car d’homme il faut se convertir en manille, ou sinon ils vous disent : « Allez avec Dieu ; » et communément les salaires sont à longs termes et les plus sûrs : nourriture pour service ; ou, s’ils veulent tranquilliser leur conscience et vous récompenser de vos sueurs, de leur garde-robe ils vous livreront un pourpoint sué, un manteau ou un saye râpé. D’autre part, si l’on sert un seigneur titré, il est vrai qu’on passe sa misère, mais peut-être n’y a-t-il pas en moi habileté pour servir et contenter ceux-ci. Pardieu, si j’en rencontrais un, je pense que je serais son grand mignon et lui ferais mille services. Tout comme un autre je saurais lui mentir, lui plaire à ravir, et trouver charmantes toutes ses saillies ou ses manières, quand bien même elles ne seraient pas les meilleures du monde ; ne jamais lui dire, encore qu’elle lui importât beaucoup, chose qui le pût chagriner ;