Page:Vie de Lazarille de Tormès, 1886.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
DE TORMÈS

personne. Je me souviens qu’un jour j’outrageai un artisan de mon pays et voulus porter la main sur lui, parce que chaque fois que je le rencontrais, il me disait : « Dieu maintienne Votre Grâce. » — « Vous, Monsieur le méchant vilain, lui dis-je, pourquoi n’êtes-vous pas mieux appris ? Dieu vous maintienne, me dites-vous, comme si j’étais le premier venu ? » De ce jour en avant il me tirait son bonnet d’ici là-bas et me parlait comme il devait. — « N’est-ce donc pas une bonne manière de se saluer l’un l’autre que de dire : Dieu vous maintienne ? » répliquai-je à mon maître. — Sache, à la male heure, me répondit-il, qu’on dit cela aux gens du commun ; mais qu’à un noble comme moi, on doit lui dire au moins : Je baise les mains de Votre Grâce, ou, à la rigueur encore, si celui qui parle est gentilhomme : Je vous baise les mains, Monsieur. Aussi à cet homme de mon pays qui me soûlait de maintien, je ne lui voulus jamais souffrir tel salut, ni n’ai souffert ni souffrirai à âme qui vive, fors au roi, qu’on me dise : Dieu