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DE TORMÈS

mon maître, toutes les fois qu’il se ressouvenait de mon aventure, il ne pouvait se tenir de rire.

Je vécus ainsi quelque temps avec cet écuyer, mon troisième et pauvre maître, désirant toujours connaître le motif de sa venue et de son séjour en ce lieu, car dès la première journée que je passai à son service, je m’aperçus qu’il était étranger, au peu de liaison et conversation qu’il avait avec les habitants. Enfin mon désir fut exaucé et je sus ce que je désirais savoir.

Un jour que nous avions convenablement mangé et qu’il était assez satisfait, il me conta son cas. Il me dit qu’il était de Castille-la-Vieille et avait quitté son pays rien que pour ne pas lever son bonnet à un gentilhomme son voisin. « Monsieur, lui dis-je, s’il était ce que vous dites et plus riche que vous, vous n’auriez failli en le saluant le premier, puisque vous dites qu’il vous saluait aussi. » — « Oui, il était ce que j’ai dit et plus riche que moi et me saluait aussi ; mais, puisque si souvent je lui tirais mon bonnet le premier, il n’eût pas été mauvais qu’il me prévînt quelquefois et me gagnât de la main. » — « Il me semble, Monsieur, que je