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LAZARILLE

Cependant j’avais mis le verrou à la porte et m’y étais adossé pour la mieux défendre. Les gens passèrent avec leur mort, et, nonobstant, je craignais toujours qu’ils ne vinssent nous le mettre à la maison. Alors mon bon maître, quand il fut plus soûl de rire que de manger, me dit : « Oui, certes, Lazare, selon ce que tu as entendu dire à la veuve, tu as eu raison de penser ce que tu as pensé ; mais puisque Dieu en a disposé autrement et qu’ils ont passé outre, ouvre, ouvre, et va chercher à manger. » — « Laissez, Monsieur, qu’ils passent le coin de la rue. » Enfin mon maître vint à la porte de la rue, l’ouvrit et m’animant, ce qui, vu la crainte et le trouble qui m’avaient saisi, était bien nécessaire, me remit sur mon chemin. Mais encore que ce jour-là nous fissions bonne chère, du diable si je pus trouver du goût à rien et je fus trois jours sans reprendre la couleur de mon visage. Quant à