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LAZARILLE

mon désir, en même temps, je pense, que celui de mon maître ; car comme je commençai à manger, lui, qui se promenait, vint à moi et me dit : « Je t’assure, Lazare, que tu as en mangeant meilleure grâce que ne vis onques à homme au monde, et que personne ne peut te regarder manger à qui tu ne donnes appétit, encore qu’il n’en ait point. » — « Le fort grand que tu as te fait estimer beau le mien », dis-je en moi-même. Cependant, puisqu’il y mettait du sien et m’ouvrait la voie, il me parut que je devais l’aider. Je lui dis : « Monsieur, le bon outil fait le bon ouvrier ; ce pain est des plus savoureux, et ce pied de bœuf si bien cuit et bien assaisonné, que quiconque le verrait en aurait envie. » — « C’est du pied de bœuf ? » dit-il, — « Oui, Monsieur. » — « Or, te dis que c’est le meilleur morceau du monde ; il n’y a pas de faisan que je goûte autant. » — « Goûtez-en donc, Monsieur, et vous verrez si j’ai raison. »

Je lui mis entre les mains le pied et trois ou quatre rations de mon pain le plus blanc. Il s’assit à côté de moi et commença à manger comme qui en a envie, rongeant jusqu’aux os