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LAZARILLE

basque de mon vêtement. À quoi il fit bon visage et dit : « Eh bien, moi, je t’ai attendu pour dîner, et, ne te voyant pas venir, j’ai mangé. Mais tu t’es conduit en honnête homme, car mieux vaut demander pour l’amour de Dieu que de voler. Et ainsi Dieu me vienne en aide, comme je trouve bon ce que tu as fait ; seulement, je te recommande qu’on ne sache pas que tu vis avec moi, pour ce qui regarde mon honneur, quoique je pense que cela restera secret, car on me connaît peu en ce lieu, où plût à Dieu que je ne fusse jamais entré. » — « N’ayez à ce sujet nulle inquiétude, Monsieur, » répondis-je : « qui diable me le demanderait, et à qui le dirais-je ? » « — Allons, dit-il, mange donc, pauvret, et, s’il plaît à Dieu, nous nous verrons bientôt hors du besoin, quoique je doive te dire que, depuis que je suis entré dans cette maison, rien ne m’a réussi. Elle doit être de mauvais sol, car il y a des maisons maudites et de mauvais fondements qui communiquent le malheur à ceux qui y habitent. Celle-ci sans doute est du nombre, mais je te promets que, passé ce mois, je n’y resterai pas, dût-on m’en donner la propriété. »