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DE TORMÈS

mon maître était à l’église ou dans le village. Lui, voyant ces dégâts et le peu de remède qu’il y pouvait apporter, errait la nuit comme un fantôme, ainsi que je l’ai dit.

J’eus peur que par ces diligences il ne vînt à trouver la clef que je tenais sous ma paillasse, et il me parut que le plus sûr était, pendant la nuit, de la garder dans ma bouche, car, depuis que j’étais entré au service de l’aveugle, je l’avais si bien habituée à me servir de bourse, qu’il m’advint d’y abriter douze ou quinze maravédis, tous en demi-blanques, sans que je fusse pour cela empêché de manger : autrement je n’aurais pas réussi à soustraire une seule blanque à l’enquête du maudit aveugle, qui n’omettait de tâter soigneusement nulle pièce ni couture.

Ainsi donc, comme j’ai dit, tous les soirs je mettais la clef dans ma bouche et dormais sans craindre que mon sorcier de maître la découvrît. Mais quand le malheur doit venir, vaine est la prévoyance. Ma destinée, ou, pour mieux dire, mes péchés, voulurent qu’une nuit, tandis que je dormais, la clef se plaçât dans ma bouche, alors sans doute ouverte, de telle façon