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la garçonne

la main de Blanchet et reçut, avez amertume, les politesses banales des Muroy. C’étaient des cousins de M. Ambrat ; le mari, notaire à Langeais, la femme, ménagère discrètement effacée. Couple de vieilles gens sans grande culture, pour qui, évidemment, le nom de Boisselot n’évoquait rien.

Les Ambrat les recevaient régulièrement une ou deux fois l’an, à chacun de leurs voyages. Ils estimaient en eux une droiture et une tolérance malicieuses, la souriante philosophie d’un de ces ménages d’antan, vieillis dans la paix provinciale, et dont la seule grande douleur, stoïquement supportée, avait été la perte d’un fils unique, — le commandant Muroy, tombé le 20 août 1914, à Morhange.

Le cercle se reforma, élargi, sous la tonnelle, Riri reparut, deux coupes précautionneusement tenues dans ses menottes.

— Voilà, marraine !

M. Ambrat, avec une dextérité de vigneron, débouchait une des bouteilles en train de glacer. Le vin d’or pâle pétilla, dans les verres embués. Les Muroy, ayant attiré Riri, la caressaient : elle ressemblait à leur petite-fille, une enfant naturelle du commandant, adoptée par eux en même temps qu’ils ouvraient leur maison à la mère en deuil. Ils avaient repris avec Mme Ambrat leur grand sujet de conversation, — l’Œuvre, dont à Langeais ils s’étaient faits les propagandistes. Deux garçonnets avaient grâce à eux retrouvé, l’un à Angers, l’autre à Saumur, des parents inattendus.

— Si seulement, regrettait M. Muroy, nos rescapés ne demeuraient pas sous la menace d’être réclamés, un jour ou l’autre, par les auteurs mêmes de leurs