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PYRRHON.

l’avoir trouvée : ils le disent, et si en le disant ils sont au fond en contradiction avec eux-mêmes et redeviennent dogmatistes sans le vouloir, peu leur importe. Aussi bien leur dogmatisme, si dogmatisme il y a, ne relevant d’aucun principe abstrait, sera toujours différent du dogmatisme qu’ils ont combattu.

La même conclusion va s’imposer à nous, plus clairement encore, si nous considérons l’autre différence que nous avons signalée entre la tradition sceptique et la tradition académique. Il nous paraît certain que les sceptiques ont exagéré le scepticisme de Pyrrhon, et, en lui prêtant leurs propres idées, ont modifié les siennes. Non que nous refusions de voir en lui un sceptique, le fondateur même du scepticisme. Il a suspendu son jugement en toute question ; il a dit qu’en toute occasion on peut invoquer des raisons équivalentes pour et contre chaque thèse ; un texte précis nous l’affirme, et nous n’avons aucune raison d’en contester l’exactitude. Mais est-il allé plus loin ? s’est-il attaché à formuler le scepticisme en termes précis, comme l’ont fait ses successeurs ? Est-il comme eux un logicien et un disputeur, ou est-il surtout un moraliste ? Le scepticisme, tel que nous le connaissons, est une doctrine savamment élaborée, toujours prête à la riposte et qui cherche querelle à tout le monde. Il a une certaine affinité, au moins apparente, avec la sophistique. Pyrrhon lui-même a souvent été présenté comme une sorte de sophiste, par exemple dans la légende[1] qui nous le montre si incertain de l’existence des choses sensibles qu’il s’en va se heurter contre les arbres et les rochers, et que ses amis sont obligés de l’accompagner pour veiller sur lui. Le père du pyrrhonisme a-t-il été un logicien subtil, ou comme Socrate, qui doutait aussi de beaucoup de choses, et des mêmes, est-il plutôt un moraliste ?

Tout d’abord, ce serait une question de savoir quel était pour lui le vrai sens des formules οὐδὲν μᾶλλον et ἐπέχω. Avaient-elles une signification morale ou logique ? Voulait-il dire je ne préfère

  1. Diog., XI, 62.