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PYRRHON.

vérité, ayant une parole de vérité pour règle infaillible ; je te dirai quelle est la nature du divin et du bien, d’où vient pour l’homme la vie la plus égale. »

Ainsi, voilà le fondateur du scepticisme comparé par le disciple qui l’a le mieux connu, au soleil qui éclaire les hommes. Il a une parole de vérité, une règle sûre ; il connaît la nature du divin et du bien. Nous ne sommes pas très loin du summum bonum dont Cicéron nous parlait tout à l’heure.

La contradiction est trop forte pour n’avoir pas sauté aux yeux des sceptiques anciens. Sextus a une façon bien plaisante d’expliquer la comparaison de Pyrrhon avec le soleil. « Si, dit-il, un grammairien veut expliquer le vers de Timon, il dira qu’il a pour but de faire honneur à Pyrrhon. Un autre s’avisera qu’il renferme une contradiction, car le soleil éclaire, tandis que le sceptique obscurcit tout. Mais le vrai philosophe, ajoute le bon Sextus, comprendra que si Pyrrhon ressemble au soleil, c’est que le soleil éblouit ceux qui le regardent trop attentivement. De même le sceptique ôte à ceux qui l’écoutent la vue claire des choses, et les met hors d’état de rien comprendre[1]. » On nous dispensera d’insister sur cette explication mani­festement inventée après coup. Ailleurs[2] il explique que le mot est n’est pas pris par Timon dans un sens positif, mais dans un sens sceptique, désignant seulement ce qui apparaît, non la véritable réalité. Mais ici encore on est en droit de suspecter l’interprétation de Sextus. Il est bien vrai que Pyrrhon annonce qu’il dira ce qui lui paraît être la vérité (ὥς μοι καταφαίνεται εἶναι). Mais s’il ne s’agit que d’apparences ou de phénomènes, comment comprendre les expressions μῦθον ἀληθείης et ὀρθὸν κανόνα ? Comment comprendre surtout que Pyrrhon se flatte de connaître la nature du divin et du bien ? que peut être le divin au sens phénoméniste ?

Entre ces assertions contradictoires, il n’y a pas d’autre conciliation possible que celle-ci : entre la théorie et la pratique, la

  1. M., I, 305
  2. M., XI, 20.