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PYRRHON.

seulement des réalités en tant que distinctes des apparences. Si on retient bien ce point, il sera facile de répondre à tous les sophismes dirigés contre le scepticisme[1].

Nul doute, on le voit, que Pyrrhon n’ait fait une distinction entre le phénomène et la chose, ou, comme nous disons, entre le subjectif et l’objectif. De là ce vers de Timon[2] : L’apparence est reine partout où elle se présente. « Pyrrhon, dit Ænésidème[3], n’affirmait rien dogmatiquement, à cause de l’équivalence des raisons contraires ; il suivait les apparences (τοῖς φαινομένοις). »

Faut-il attribuer à Pyrrhon les dix tropes (τρόποι) ou raisons de douter (appelées encore τόποι ou λόγοι) qui tenaient dans les argumentations sceptiques une si grande place ? Il est probable que Pyrrhon, en même temps qu’il opposait les raisons contraires et d’égale force, a signalé quelques-unes des contradictions des sens. M. Waddington[4] a ingénieusement détaché des résumés de Diogène et de Sextus un trait qui semble bien lui appartenir, et qui est comme un souvenir de ses voyages : Démophon, maître d’hôtel d’Alexandre, avait chaud à l’ombre et froid au soleil[5]. Mais la question est de savoir si ces dix tropes, sous la forme et dans l’ordre où ils nous sont parvenus, étaient déjà des arguments familiers à Pyrrhon. Nous ne le croyons pas. Les dix tropes sont formellement attribués à Ænésidème par Diogène[6] par Aristoclès[7] par Sextus[8] ; aucun texte ne permet de les mettre au compte de Pyrrhon. Accordons, si l’on veut, qu’Ænésidème n’a fait que mettre en ordre des arguments connus avant lui, et s’est borné à leur donner une forme plus précise ; mais il semble impossible d’aller plus loin[9].

  1. Sext., P., I, 208.
  2. Diog., IX, 105.
  3. Ibid., 106.
  4. Op. cit.
  5. Sext., P., I, 81 ; Diog., 80.
  6. 87.
  7. Ap. Euseb., Præp. evang., XIV, xviii, 11.
  8. M., VII, 345.
  9. La mention dans le catalogue de Plutarque par Lamprias (Fabric. Biblioth. Gr. t. V, p. 163) d’un livre : Περὶ τῶν Πύρρωνος δέκα τρόπων ne saurait être un argument sérieux. En supposant même le catalogue authentique, à l’époque de Plutarque, on ne fait guère de distinction entre Pyrrhon et les pyrrhoniens.