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LE PYRRHONISME ET LA NOUVELLE ACADÉMIE.

ciens étaient par état obligés de combattre le stoïcisme, alors même que des rivalités personnelles et des jalousies de condisciples n’auraient pas envenimé le débat.

Plus tard, avec Ænésidème, le scepticisme, suivant peut-être l’exemple de la nouvelle Académie, abusa à son tour de la dialectique. Maccoll a bien montré comment les sceptiques ruinent la dialectique après s’en être servis, tandis que les académiciens, bien qu’ils aient pu avoir des mots durs pour leur exercice favori, lui conservent au fond une certaine tendresse de cœur.

De l’origine platonicienne de la nouvelle Académie résulte encore une particularité qui ne nous semble pas avoir été assez mise en lumière. Ce que les académiciens, différents en cela des sceptiques, attaquent surtout chez les stoïciens, c’est leur sensualisme. Par là, ils se montrent les véritables héritiers de Platon. Nous n’allons pas jusqu’à admettre avec saint Augustin[1] que leurs négations n’étaient que pour la montre, qu’ils se proposaient avant tout de combattre avec ses propres armes le matérialisme régnant ; qu’au fond, ils étaient des idéalistes convaincus, attendant des temps meilleurs pour laisser paraître au grand jour leur vraie doctrine. Si séduisante qu’une pareille supposition puisse paraître, elle s’appuie sur des preuves trop insuffisantes ; saint Augustin est un témoin trop éloigné pour qu’on puisse s’y rallier, et lui-même doute trop de l’hypothèse qu’il insinue pour que nous puissions y croire. On comprendrait mal d’ailleurs une telle timidité de la part de ces infatigables disputeurs. Et puis, Carnéade serait un singulier représentant du pur idéalisme[2]. Mais, sans aller jusqu’à attribuer aux académiciens une doctrine de derrière la tête, il est certain qu’ils répugnaient au sensualisme stoïcien ; ils l’ont combattu de tout leur cœur.

L’histoire a vraiment été injuste pour la nouvelle Académie. Le titre de dogmatistes dont se couvrent les stoïciens a créé un préjugé en leur faveur. On a fermé les yeux sur les insuffisances de leur dogmatisme par cette seule raison qu’ils avaient, aux

  1. Voir ci-dessus, p. 115.
  2. Ac., II, XVIII, 60.