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LIVRE II. — CHAPITRE VI.

la plus simple, suppose des idées arrêtées, des croyances. On n’agit pas sans désir : et comment délibérer quand on ignore si la chose désirée est bonne ou mauvaise, conforme ou non à la nature ? Plus de raison, plus de philosophie, plus de ces principes (δόγματα) qu’on ne peut trahir sans crime ; plus d’amitié, plus de patriotisme.

Laissons de côté les conséquences d’ordre pratique, et envisageons la question au point de vue théorique. Les académiciens disent : rien n’est certain. Mais cette assertion même, avouent-ils qu’elle est certaine ? Non, répondait Carnéade à Antipater qui lui faisait cette objection. Celui qui dit : rien n’est certain, ne fait aucune exception ; cette proposition n’est que probable. Il n’y a point de philosophie, réplique Antiochus, qui n’ait une opinion sur ces deux points : le souverain bien ou la règle des mœurs, et la distinction du vrai et du faux. Quand on se donne pour philosophe, quand on veut enseigner aux autres ce qu’ils doivent faire et éviter, croire ou rejeter, il faut avoir un principe. Le principe des académiciens est que rien n’est certain : il faut donc qu’ils s’en tiennent à ce principe, qu’ils lui soient fidèles ; en d’autres termes, qu’ils soient certains.

Ainsi serrés de près, les académiciens répondent : Est-ce notre faute, si rien n’est certain ? Prenez-vous-en à la nature qui a, suivant l’expression de Démocrite, caché la vérité au fond d’un abîme. Abandonnons les sceptiques, dont il faut désespérer, et pour lesquels tout est aussi incertain que la question de savoir si le nombre des étoiles est pair ou impair. D’autres sont plus adroits : ils distinguent ce qui ne peut être connu, et ce qui est incertain. Il y a suivant eux des choses qui, sans pouvoir être connues ou saisies, sont claires : ils accordent qu’il y a de la probabilité, de la vraisemblance ; c’est là, disent-ils, qu’ils trouvent une règle pour l’action et pour la pensée.

Mais comment distinguer ce qui est probable ou vraisemblable de ce qui ne l’est pas, s’il n’y a aucun signe distinctif de la vérité ? Entre les représentations vraies et les fausses, il n’y a pas, dites-vous, de différence spécifique. Dès lors, de quel droit dire