Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
LIVRE II. — CHAPITRE V.

de l’Académie. De même, il est dans son droit quand il rapproche sa doctrine de celle d’Aristote. Si la connaissance était seulement l’impression faite sur l’esprit par la vérité, les péripatéticiens, comme Philon, y souscriraient[1]. Ce qui gâte tout, c’est cette grave addition : de telle sorte que le faux n’en saurait produire une semblable. Qui a jamais, dans le Lycée, tenu un pareil langage ? C’est Antiochus, ce sont les stoïciens qui ont altéré la pure doctrine de l’Académie.

On comprend par là comment Philon a pu passer pour un novateur, quoique, au fond, il n’ait guère fait que répéter, en soulignant peut-être certains traits, ce qui avait été dit par Carnéade. Les innovations de Philon sont assez importantes pour qu’on l’ait parfois regardé comme le fondateur d’une quatrième Académie. Elles ne le sont pas assez pour que cette qualification ait été universellement admise, et ait prévalu.

Si Numénius et saint Augustin lui ont attribué un changement d’opinion, et ont vu en lui un dogmatiste platonicien, c’est qu’ils se sont mépris sur le sens que Philon donnait à cette formule : la vérité existe. Il faut convenir que leur erreur est excusable. Il n’est pas naturel, à première vue, qu’un sceptique proclame l’existence de la vérité.

La grande colère d’Antiochus contre Philon[2] vient, selon toute vraisemblance, de l’effort tenté par le dernier pour mettre Platon et Aristote d’accord avec Carnéade, et effacer les limites entre les deux Académies. Transfuge de la nouvelle Académie, rallié avec éclat au stoïcisme, c’est chez les stoïciens qu’Antiochus prétendait trouver les vrais continuateurs de Platon et d’Aristote.

  1. Cic., Ac., II, 112.
  2. Suivant Hirzel (p. 196), c’est surtout l’emploi du mot καταληπτόν qui aurait scandalisé Antiochus. Mais est-ce bien de ce mot, et de l’idée qu’il exprime, qu’il pouvait dire : ce sont choses inouïes dans l’Académie ? Lui-même d’ailleurs s’en servait, et il prétendait bien rester dans l’Académie. Nous croyons plutôt que c’est l’interprétation sceptique de la doctrine de Platon et d’Anatole qui t’a si fort irrité. Cf. Ac., I, iv, 13. L’expression mentitur employée deux fois (II, vi, 18-iv, 12) à l’égard de Philon semble aussi plutôt s’appliquer à un point de fait, qu’à une question de doctrine.