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LES SUCCESSEURS DE CARNÉADE. — PHILON.

objection d’Antiochus[1]. Parmi les quatre propositions qui résument la théorie de Carnéade et qu’on a lues ci-dessus, il en est deux, les plus essentielles, qui se contredisent. — Il y a, dit Carnéade[2], des représentations fausses. Puis, entre les représentations vraies et les fausses il n’y a point de différence spécifique. — Mais, objecte Antiochus, quand vous admettez la première de ces propositions, vous admettez implicitement que le vrai peut être distingué du faux, et vous le niez dans la seconde. Si la seconde est vraie, la première ne l’est plus ; et si la première est vraie, il faut renoncer à la seconde. Au fond, c’est l’objection si souvent dirigée de nos jours contre le probabilisme, mais présentée ici sous une forme plus saisissante et plus vive : la probabilité suppose la vérité ; rien n’est probable, si rien n’est vrai.

Que répondre à cette objection ? Rien autre chose, sinon ce que répond Cicéron[3] ? Et on peut être assuré qu’il répète les paroles de Philon : « L’objection serait irréfutable si nous supprimions toute vérité ; c’est ce que nous ne faisons pas. Car nous discernons le vrai et le faux. Il y a des apparences en faveur de la probabilité, il n’y a pas de signe certain du vrai. »

Il faut, on le voit, pour sauver la probabilité, reconnaître l’existence de la vérité. Mais, tout en avouant cette existence, Philon ne croit pas à la certitude. Il y a des choses évidentes (perspicua) qui ne sont pas perçues et connues (percepta, comprehensa)[4]. Ces choses évidentes, vraies, que l’on peut croire

  1. Cic., Ac., II, xxxiv, 111 : « Ne illam quidem prætermisisti, Luculle, reprehensionem Antiochi (nec mirum, in primis enim est nobilis) qua solebat dicere Antiochus Philonem maxime perturbatum. »
  2. Ibid. Cf. Ac., II, xiv, 44.
  3. Ac., II, xxxiv, 111 : « Id ita esset si nos venim omnino tolleremus. Non facimus. Nam tam vera quam falsa cernimus. Sed probandi species est : percipiendi signum nullum habemus. »
  4. Ac., II, x, 32 : « Alii autem elegantius qui etiam queruntur quod eos insimulemus omnia incerta dicere, quantumque intersit inter incertum et id quod percipi non possit docere conantur eaque distinguere. » Cf. Ac., II, xi, 34 : « Perspicua a perceptis volunt dîstinguere, et conantur ostendere esse aliquid perspicui ; verum illud quidem impressum in animo atque mente, neque tamen id percipi ac