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LIVRE II. — CHAPITRE III.

loi inexorable du destin. Mais alors à quoi sert la divination[1] ? Si on ne peut empêcher ce qui doit arriver, à quoi bon le prévoir ? Il vaut bien mieux l’ignorer. Quelle vie que celle de Priam si dès son enfance il eût connu le sort qui l’attendait ! Dira-t-on que l’attente d’un mal peut l’alléger ? Mais le Jupiter d’Homère ne s’afflige-t-il pas de ne pouvoir soustraire son fils Sarpédon à la mort prédite par le destin ? En deux mots, s’il y a du hasard, l’avenir n’est pas certain, et ne peut être prédit. Et si l’avenir est certain, si tout est fatal, il n’y a pas non plus de divination, puisque la divination est définie le pressentiment des choses fortuites.

Serrons la question de plus près et entrons dans le détail. Il y a deux sortes de divination. La divination savante, qui repose sur des règles et des préceptes fixes ; elle interroge les entrailles des victimes, interprète les prodiges, les coups de tonnerre, etc. La divination naturelle est une sorte d’inspiration accordée à quelques privilégiés sans préparation et sans art : les songes et les oracles révèlent l’avenir.

Sur quoi repose la divination savante[2] ? Comment a-t-on appris ce que signifient les entrailles des victimes ? Est-ce par une longue observation ? Qui a fait ces observations ? Quelle en a été la durée ? D’où a-t-on su que telle fissure annonce un péril, telle autre un succès ? Les aruspices d’Égypte, d’Étrurie, de Carthage se sont-ils mis d’accord sur tout cela ? Au contraire ils sont divisés. Et les Dieux mêmes ne s’entendent pas entre eux[3]. Si on sacrifie à plusieurs Dieux en même temps, l’un menace, tandis que l’autre promet ; les mêmes entrailles offertes à Apollon sont favorables ; à Diane, défavorables.

S’il y a des présages, comment sont-ils possibles ? Les partisans de la divination ont recours à un merveilleux subterfuge[4]. Nous ne savons pas, disent-ils, la cause des présages, mais

  1. De Divin., II, viii, 20.
  2. Ibid., xii, 28.
  3. xvii, 38.
  4. xi, 27. Cf. xx, 46.