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CARNÉADE. — SA VIE ET SA DOCTRINE.

qu’Arcésilas[1]. Mais, d’autre part, il mentionne à diverses reprises des interprétations conformes à celle de Métrodore[2] ; et il dit lui-même que Métrodore[3] passait pour bien connaître la doctrine de Carnéade. D’un autre côté, on vient de voir que Sextus comprend la pensée de Carnéade comme Métrodore. Enfin, il semble difficilement admissible que Carnéade ait élaboré la doctrine savante que nous allons résumer, si sa conclusion avait dû être que le sage doit s’interdire toute opinion. Nous pouvons donc dire, avec réserves il est vrai, que Carnéade avait renoncé à l’έποχή ; il reconnaît la légitimité de certaines croyances ; il est probabiliste. C’est lui qui, le premier, a introduit dans l’Académie le πιθανόν.

Quelles sont maintenant les représentations qui s’approchent de la certitude sans jamais l’atteindre ?

La représentation peut être considérée à un double point de vue[4]. Par rapport à l’objet, elle est vraie quand elle s’accorde avec lui, fausse dans le cas contraire. Par rapport au sujet, tantôt elle paraît vraie et on l’appelle ἔμφασις ou probable (πιθανή) ; tantôt elle paraît fausse, et on l’appelle ἀπέμφασις, ἀπειθής, ἀπιθανός. Écartons celles qui sont manifestement fausses, ou qui ne paraissent pas vraies. Parmi celles qui paraissent vraies, il en est qui n’ont cette apparence qu’à un faible degré, soit parce que l’objet considéré est trop petit, soit parce qu’il n’est pas à une distance convenable, ou que nos sens trop faibles ne le perçoivent que confusément. Écartons-les encore. Mais il en est qui ont cette même apparence à un très haut degré ; plus nous y sommes attentifs, plus elles nous frappent et nous paraissent probables[5]. Même alors, elles peuvent être

  1. Loc. cit., XVIII, 59.
  2. Cic., Ac., II, xxiv, 78 ; xviii, 59 ; xxi, 67 ; xxxv, 112 ; xlviii, 148.
  3. Cic., Ac., II, vi, 16 : « Bene autem nosse Carneadem Stratoniceus Metrodorus putabatur. » Il faut rapprocher de ce texte le passage conservé par l’Index d’Herculanum, où Métrodore déclare que les autres philosophes ont mal compris Carnéade (Καρνεάδου παραϰηϰοέναι πάντας) (Ind. Hercul., col. xxvi, 4).
  4. Sext., M., VII, 166 et seq.
  5. Sur la différence entre le εὔλογον d’Arcésilas et le πιθανόν de Carnéade, voir plus haut, p. 111.