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LIVRE II. — CHAPITRE III.

circonstance, jointe au peu de faveur qu’obtiennent d’ordinaire les doctrines sceptiques, qu’il a dû de n’être pas compté parmi les grands philosophes. Un examen impartial de ce que nous connaissons de lui atteste du moins qu’il fut un puissant esprit. Depuis Aristote jusqu’à Plotin, la Grèce n’en a pas eu de plus grand ; seul, Chrysippe pourrait lui disputer la palme, et si on s’en rapportait à l’opinion de la plupart des anciens, c’est à Carnéade qu’elle appartiendrait.

I. Carnéade, fils d’Épicomus ou de Philocomus, naquit à Cyrène[1] vers 219 av. J.-C.[2]. Ses admirateurs faisaient remarquer qu’il était né le même jour que Platon, le jour des jeux carnéens, consacrés à Apollon[3]. Il eut pour maître, outre Hégésinus à qui il succéda, le stoïcien Diogène de Babylone[4], qui lui enseigna la dialectique. Malgré l’intervalle de temps considérable qui les sépare, on peut regarder Chrysippe comme un des maîtres de Carnéade ; c’est probablement dans une lecture approfondie des nombreux écrits du grand stoïcien qu’il acquit, sans parler de bon nombre d’arguments sceptiques qu’il lui emprunta, cette souplesse et cette habileté qui le rendirent si redoutable dans la discussion. Lui-même reconnaissait ce qu’il devait à son illustre prédécesseur, car il disait souvent, parodiant un mot connu : « S’il n’y avait point eu de Chrysippe, il n’y aurait point de Carnéade[5]. » Sauf la célèbre ambassade à Rome dont il fut chargé en 156 avec Diogène de Babylone et Critolaüs, lorsque les Athéniens voulurent se faire exempter d’une amende

  1. Diog., IV, 62 ; Strab., XVII, iii, 22 ; Cic. Tusc., IV, III, 5 ; Suidas, Καρνεάδης.
  2. Diogène (IV, 65) dit, d’après Apollodore, qu’il mourut dans la quatrième année de la cent soixante-deuxième olympiade (199 av. J.-C.). Si on admet, avec Diogène (cf. Lucien, Macrob., 30), qu’il vécut quatre-vingt-cinq ans, on fixera avec la plupart des historiens la date de sa naissance en 214. Mais Cicéron (Ac., II, VI, 16 ; cf. Valer.-Maxim., VIII, vii, 5) dit qu’il vécut quatre-vingt-dix ans. Il semble bien que c’est à Cicéron qu’on doit s’en rapporter.
  3. Plut., Quœst. conv., VIII, i, 2.
  4. Cic., Ac., II, xxx, 98.
  5. Diog., IV, 62. Cf. Plut., Stoic. Repug., X, 4.