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LIVRE II. — CHAPITRE II.

ment qu’elle eut plus tard. Mais il paraît impossible que des raisons si simples et si légitimes ne se soient pas présentées de bonne heure à leur esprit[1]. En tout cas, Arcésilas ne pouvait manquer d’avoir à s’expliquer sur la manière dont il convient d’agir, et voici comment il se tirait de cette difficulté.

Il avouait que la vie pratique exige un critérium, et ce critérium, il le trouvait dans le raisonnable (εὔλογον). Il formulait sa pensée à la manière stoïcienne, dans un sorite : le but suprême de la vie est le bonheur, le bonheur a pour condition la prudence (φρόνησις), la prudence consiste à faire son devoir (ϰατόρθωμα), le devoir est une action qu’on peut expliquer raisonnablement (εὔλογον)[2].

Qu’est-ce maintenant que cet εὔλογον dont Arcésilas fait le critérium de la conduite pratique ? Tous les historiens l’ont jusqu’ici confondu avec le πιθανόν de Carnéade et ont désigné l’un et l’autre indifféremment par les mots de vraisemblable et de probable. Mais Hirzel[3], dans un des meilleurs chapitres de la belle étude qu’il a consacrée au scepticisme ancien, a montré qu’il y a une différence notable entre les significations de ces deux termes.

D’abord il nous est expressément attesté[4] qu’Arcésilas rejetait le probable (πιθανόν) ; suivant lui, aucune représentation ne l’emporte sur une autre au point de vue de la créance qu’elle mérite[5]. C’est assez arbitrairement que quelques historiens ont tenu le témoignage de Numénius pour non avenu. D’autre part,

  1. On voit, par un passage de Plutarque (Adv. Colot., 96), que, suivant les académiciens, l’instinct (ὁρμὴ) peut se porter de lui-même à l’action et n’a pas besoin de l’assentiment (συγϰατάθεσις) donné à la sensation. D’autre part, nous savons (Plut., St. rep., XLVII, 12) que Chrysippe soutenait le contraire. C’est peut-être contre la théorie d’Arcésilas qu’est dirigée l’objection de Chrysippe.
  2. Sext., M., VII, 158.
  3. Op. cit., 150. À l’appui de cette thèse, on pourrait signaler les critiques que Carnéade, d’après Plutarque (De com. motiv., XXVII, 15), a dirigées contre la théorie stoïcienne de la εὐλόγιστος ἐϰλογή. (Voir ci-dessous, p. 167.)
  4. Numen., ap. Euseb., Prœp. evang., XIV, vi, 5 : Ἀναιροῦντα ϰαὶ αὐτὸν τὸ ἀληθὲς, ϰαὶ τὸ ψεῦδος, ϰαὶ τὸ πιθανόν.
  5. Sext., P., I, 232 : Οὔτε ϰατὰ πίστιν ἢ ἀπιστίαν προϰρίνει τι ἕτερον ἑτέρου.