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nouvel habit riche de broderies ou de fourrures, s’il m’arrivait de le mettre dans la matinée pour aller à la cour, ou pour dîner avec ceux de mes camarades de l’Académie qui rivalisaient avec moi pour ces vanités, je m’en dépouillais aussitôt après le dîner, parce que c’était l’heure où les autres venaient chez moi. Je le faisais même soigneusement cacher, pour qu’ils ne le vissent pas ; enfin j’en avais honte avec eux, comme d’un crime. Il me semblait, en effet, que c’en était un, et mon cœur se le reprochait, que de posséder, et plus encore d’étaler avec orgueil, des choses que mes amis et mes égaux n’avaient pas. Et c’est ainsi qu’après avoir eu tant de mal à obtenir de mon curateur qu’il me fît faire une élégante voiture, chose vraiment ridicule, et parfaitement inutile à un jeune garçon de seize ans, dans cette ville microscopique de Turin, je ne m’y montrais presque jamais, parce que mes amis, n’en ayant pas, devaient toujours s’en retourner à pied. Quant à mes nombreux chevaux de selle, j’avais un moyen de me les faire pardonner, c’était de les mettre en commun avec eux, outre qu’ils avaient chacun le leur, entretenu aux frais de leurs parens. Aussi cette branche de luxe me charmait-elle plus que toute autre, et il s’y mêlait moins de regret, parce qu’elle ne pouvait en rien offenser mes amis.

Lorsque j’examine sans passion, et avec l’amour de la vérité, ces premiers temps de mon adolescence, je crois entrevoir à travers les écarts sans nombre d’une jeunesse impétueuse, trop inoccupée, mal élevée et sans frein, un certain penchant