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animal un prétexte pour en vouloir un second, et après celui-ci, deux de voiture, puis un de cabriolet, et encore deux de selle : en moins d’un an j’arrivai ainsi jusqu’à huit. Il fallait entendre les cris de mon curateur, le plus serré des hommes ; mais je le laissais chanter tout à son aise. Une fois que j’eus triomphé de l’obstacle que m’opposaient la parcimonie et la lésinésie de ce cher curateur, je donnai bientôt tête baissée dans toute espèce de dépenses, principalement à l’égard de la toilette, comme je crois déjà en avoir dit plus haut quelque chose. Parmi mes camarades les Anglais, il y en avait qui dépensaient beaucoup. Ne voulant pas me laisser surpasser par eux, je cherchais, au contraire, et je réussissais à les surpasser eux-mêmes. Mais, d’un autre côté, les jeunes amis que j’avais hors de l’Académie, et avec qui je vivais beaucoup plus qu’avec les étrangers de l’intérieur, dépendaient encore de leurs parens, et avaient peu d’argent. Comme ils appartenaient aux premières familles de Turin, leur tenue était parfaitement décente, mais leurs dépenses de fantaisie étaient nécessairement très-bornées. A l’égard donc de ces derniers, la vérité veut que je le confesse ingénument, je pratiquais alors une vertu qui m’est naturelle, et dont je ne saurais me défaire.

Je n’ai jamais voulu, jamais je n’ai pu surpasser, en quoi que ce fût, ceux que je voyais ou qui se reconnaissaient inférieurs à moi pour la force du corps, l’esprit, la générosité, le caractère, la fortune. Aussi, chaque fois que je me faisais faire un