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flatteurs, en un mot, tout ce qui arrive avec l’argent, et s’en retourne fidèlement avec lui. Dans la fièvre et la nouveauté de ce tourbillon, avec mes quatorze ans et demi, je n’étais cependant ni aussi vaurien ni aussi fou que l’on pouvait et que peut-être on aurait dû s’y attendre. De temps à autre, je me sentais intérieurement rappelé vers l’étude, et je me surprenais un peu d’impatience et quelque honte de mon ignorance, sur laquelle je ne m’abusais moi-même aucunement, comme aussi je ne cherchais pas le moins du monde à faire illusion aux autres. Mais étranger à toutes les bases d’une instruction solide, manquant d’ailleurs d’une direction quelconque, et ne possédant à fond aucune langue, je ne savais à quelle étude me vouer, et par où commencer la lecture de beaucoup de romans français (les Italiens n’en ont pas qu’on puisse lire) ; j’avais des occasions continuelles de m’entretenir avec des étrangers, aucune, en revanche, de parler ou d’entendre parler italien : tout cela avait insensiblement chassé de mon cerveau ce peu de toscan (quel toscan !) que j’étais parvenu à y faire entrer durant mes deux ou trois années d’études asinesques et bouffonnes en humanités et en rhétorique. Le français s’emparait si bien de tout le vide qui se faisait dans ma tête, que, par un bel accès de zèle de deux ou trois mois, pendant cette première année que je passai dans le premier appartement, je m’enfonçai dans les trente-six volumes de l’histoire ecclésiastique de Fleury, et les lus presque tous avec acharnement. J’en fis même en