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notes de musique au choix malheureux de l’heure à laquelle je prenais leçon : c’était aussitôt après le dîner. Or, à toutes les époques de ma vie, il m’avait toujours été matériellement démontré qu’il m’était tout-à-fait impossible de me livrer pendant cette heure à une opération quelconque de l’intelligence, ou même d’appliquer simplement les yeux sur une carte ou sur tout autre objet. Ces notes de musique, avec leurs cinq lignes si régulièrement parallèles, dansaient devant mes paupières, et après une heure de leçon, je quittais le clavecin, n’y voyant plus ; me voilà malade et stupide pour tout le reste de la journée.

À leur tour, les leçons de danse et d’escrime ne me réussissaient guère mieux : l’escrime, parce que j’étais décidément trop faible pour me tenir constamment en garde et prendre toutes les attitudes convenables (d’ailleurs, c’était aussi après le dîner, souvent même en quittant le clavecin qu’il me fallait prendre l’épée) ; la danse, parce que je la haïssais naturellement, et que, pour comble de contrariété, j’avais un maître français, récemment arrivé de Paris, qui, par l’impertinente politesse de son air et la perpétuelle caricature de ses mouvemens et de ses discours quadruplait encore l’aversion innée que je témoignais pour cet art des marionnettes. La chose alla si loin, que, au bout de quelques mois, je renonçai complètement à la leçon, et jamais je n’ai su, que dirai-je ? danser la moitié d’un menuet. Il ne faut même encore que ce mot pour me faire rire et pour m’impatienter tout