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reconnaître en moi cet enfant qui, autrefois, avait si fièrement couru la poste, et me railler aujourd’hui en me voyant condamné à cette humiliante lenteur. Ces mouvemens me venaient-ils d’une ame ardente et sublime, ou simplement vaine, glorieuse ? Je ne sais : que l’on en juge par les années suivantes ! Mais ce que je sais bien, c’est que si j’avais eu près de moi un homme versé dans la connaissance du cœur humain, il aurait pu dès lors faire de moi quelque chose, à l’aide de ce puissant mobile, l’amour de la louange et de la gloire.

Durant ma courte apparition à Coni, je fis un premier sonnet, que je ne dirai pas mien, parce que c’était un ragoût de vers, ou pris en entier, ou gâtés, ou rajustés ensemble, le tout emprunté à Métastase et à l’Arioste, les deux seuls poètes italiens dont j’eusse lu quelque chose. Mais je crois que mes vers n’avaient ni la rime ni le nombre de pieds voulus. J’avais bien fait des vers latins, hexamètres et pentamètres, mais jamais personne ne m’avait appris une seule règle de la versification italienne. Quelque peine que je me sois donnée depuis pour me rappeler au moins un ou deux de ces vers, je n’ai jamais pu y parvenir. Je sais seulement que ce sonnet était en l’honneur d’une dame que mon oncle courtisait, et qui ne me déplaisait pas. Le sonnet ne pouvait être que mauvais ; avec tout cela, il ne manqua pas d’être fort loué, d’abord par cette dame, qui n’y comprenait rien, et par d’autres juges de même force. Il ne tint pas à moi