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à la campagne pour vingt-quatre heures, avait pour titre : II Mercato di Marmontile  : il était chanté par les premiers bouffes d’Italie, le Carratoli, le Baglioni et ses filles, et la musique en avait été composée par l’un des maîtres les plus célèbres. L’éclat et la variété de cette divine musique firent sur moi une impression très-profonde, me laissant, pour ainsi dire, un sillon d’harmonie dans l’oreille et dans l’imagination, et émouvant en moi jusqu’à la fibre la plus secrète. Pendant plusieurs semaines, je demeurai plongé dans une mélancolie extraordinaire, mais qui n’avait rien que d’agréable. J’en rapportai une aversion profonde et un grand dégoût pour mes études accoutumées, et en même temps un étrange mouvement d’idées fantastiques, sous l’inspiration desquelles j’aurais pu écrire des vers si j’avais su comment m’y prendre, et développer des sentimens très-passionnés, si je n’avais été dans l’ignorance de moi-même, aussi bien que ceux qui prétendaient faire mon éducation. C’était la première fois que la musique produisait en moi un effet de ce genre, et l’impression en resta longtemps gravée dans ma mémoire, parce que jamais encore je n’en avait ressenti une aussi vive. Mais à mesure que je passe en revue mes souvenirs de carnaval, et le petit nombre d’opéra séria que j’avais pu entendre, que j’en compare les effets à ceux que j’éprouve encore, si, après avoir cessé de fréquenter le théâtre, j’y retourne au bout de quelque temps, je reconnais toujours qu’il n’y a pas pour agiter mon ame, mon cœur, mon intelligence, de