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ce qui le regardait, n’ayez hélas ! conservé de sa fin qu’une trop présente image.

Le comte Alfieri s’occupait donc alors de mener à bonne fin ses comédies, et par forme de distraction et d’amusement, il songeait aussi quelquefois au dessin, à la devise, à l’exécution de ce collier de l’ordre d’Homère, dont il voulait se créer chevalier ; mais la goutte, qui se faisait toujours sentir dans les changemens de saisons, lui était survenue dès le mois d’avril, cette fois plus fâcheuse que de coutume, le trouvant épuisé par son obstination à l'étude, et dénué de cette sève, de cette vigueur salutaire qui l’eussent repoussée et reléguée dans quelque parties extérieures de son corps. Pour la dompter, ou du moins pour l’affaiblir, considérant d’ailleurs que depuis plus d’un an sa digestion devenait sur la fin difficile et laborieuse, il se mit dans la tête qu’il n’avait pas de meilleur parti à prendre que de retrancher encore de sa nourriture, que déjà il avait réduite à fort peu de chose. Il pensait qu’en cessant de nourrir la goutte, il la forcerait à se retirer, et que d’un autre côté son estomac toujours vide, laissant à son esprit toute sa lucidité, lui permettrait de poursuivre ses opiniâtres études. Vainement, madame la comtesse, votre amitié daignait l’avertir, l’importunait même et le pressait de manger davantage, car il maigrissait à vue d’œil, et il était clair qu’il lui fallait plus de nourriture. Mais lui, ferme dans son dessein, persévèra tout l’été dans cette abstinence excessive, et dans son ardeur à s’occuper de ses comédies ; il y travaillait