Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on des chevaux ? Tout au contraire, dans notre calèche italienne, on se trouve, pour ainsi dire, sur la croupe des chevaux, sans compter que l’on jouit admirablement de la vue du pays. Ce fut ainsi que de poste en poste, le cœur toujours plein de la vive émotion de la course et de la nouveauté des objets, j’arrivai enfin à Turin, vers une heure ou deux de l’après-midi. La journée était superbe, et l’entrée de cette ville par la Porte-Neuve et la place Saint-Charles, jusqu’à l’Annonciation, près de laquelle demeurait mon oncle, m’avait ravi et jeté comme hors de moi : tout cet espace est véritablement grandiose et merveilleux à voir.

La soirée ne fut point aussi gaie. Quand je me vis dans un nouveau logis, entouré de visages inconnus, loin de ma mère, loin de mon précepteur, face à face avec un oncle qu’à peine j’avais entrevu une fois, et qui n’avait pas, il s’en fallait, l’air affectueux et caressant de ma mère, tout cela me fit retomber dans la tristesse et dans les larmes, et réveilla plus vivement en moi le regret de toutes les choses que j’avais quittées la veille. Cependant, au bout de quelques jours, ayant fini par me faire à toutes ces nouveautés, je repris mon enjouement et ma vivacité, et j’en montrai même beaucoup plus que je n’avais fait jusque là. Ma pétulance alla même si loin, que mon oncle s’en formalisa ; et voyant qu’il avait affaire à un lutin qui jetait le trouble dans sa maison, que d’ailleurs, n’ayant point de maître qui me fit travailler, je perdais tout mon temps, il n’attendit pas le mois d’octobre, comme