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mande au ciel qu’une chose, c’est de me retirer le premier des misères de cette vie.

Mais si l’ami dépositaire de ces mémoires croit qu’il serait mieux de les brûler, il ne fera pas plus mal. Je le prie seulement, dans le cas où il lui prendrait fantaisie de les refaire pour les publier, de se borner à les raccourcir et à y faire tel changement qu’il voudra quant au style et à l’élégance, mais de n’y ajouter aucun fait, et de n’altérer en aucune façon ceux qui s’y trouvent rapportés. Si, en écrivant ma vie, je ne m’étais proposé avant toute chose le dessein très-peu vulgaire de causer de moi avec moi-même, de me voir à peu près tel que je suis, et de me montrer à demi nu au petit nombre de ceux qui veulent ou qui voudront me connaître véritablement, j’étais, je crois, aussi capable qu’un autre d’exprimer, en deux ou trois pages au plus, la quintessence, s’il y en a, de ces quarante-et-une années de ma vie, et parler de moi-même à la manière de Tacite, avec une concision affectée et cette fausse humilité qui est aussi de l’orgueil. Mais c’est qu’alors j’aurais voulu faire montre de mon génie au lieu de peindre mon âme et mon caractère. Que ce génie existe ou qu’on me le suppose, je lui ai donné amplement son essor dans mes autres ouvrages ; dans celui-ci, qui, pour être plus familier, n’en a pas moins une importance égale, c’est uniquement mon cœur qui s’épanche à la manière un peu diffuse des vieillards qui parlent d’eux-mêmes, et par ricochet des autres hommes, tels qu’ils se laissent voir dans leur déshabillé.