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encore et en porterai jusqu’au tombeau la très-visible cicatrice. Je me relevai sur-le-champ moi-même, et je criai aussitôt à mon frère de ne rien dire. Dans ce premier moment, il me semblait que je ne sentais pas la moindre douleur, mais bien vivement, au contraire, la honte de m’être montré un soldat si peu solide sur ses jambes. Déjà mon frère était allé en toute hâte réveiller mon précepteur, le bruit en était venu à ma mère, et toute la maison était sens dessus dessous. Pendant ce temps-là, moi, qui n’avais crié ni en tombant ni en me relevant, lorsque j’eus fais quelques pas vers la table, sentant quelque chose de chaud couler le long de mon visage, et y ayant porté les mains, je ne les vis pas plus tôt pleines de sang, que je commençai à pousser des cris. Ce ne pouvait être que des cris de frayeur et d’étonnement, car je me rappelle fort bien que je n’éprouvai aucune douleur, jusqu’au moment où le chirurgien, étant arrivé, se mit en devoir de laver, de tâter et de panser la plaie. Cette plaie fut quelques semaines à se cicatriser, et, pendant plusieurs jours, il me fallut rester loin de toute lumière, parce, qu’on craignait pour mon œil, à cause de l’inflammation et de l’enflure excessive qui étaient venues à la suite de la blessure. Lorsque ensuite je fus entré en convalescence, la tête encore chargée d’emplâtres et de bandages, j’allai cependant avec beaucoup de plaisir à la messe des Carmes ; quoique bien convaincu que cet accoutrement d’hôpital me défigurait beaucoup plus que le petit réseau de nuit