Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


En partant de Turin, j’allai passer trois jours à Asti, auprès de mon excellente et vénérable mère. Lorsqu’en suite nous nous séparâmes, il y eut beaucoup de larmes de versées, car nous pressentions l’un et l’autre que nous ne nous reverrions plus. Je ne dirai pas que j’éprouvais pour ma mère une tendresse aussi vive que je l’aurais dû, que je l’aurais pu ; depuis l’âge de neuf ans, j’avais cessé de vivre auprès d’elle, et ne l’avais revue que pour ainsi dire à la dérobée, et pendant des heures. Mais mon estime, ma reconnaissance, ma vénération pour elle et pour ses vertus n’ont jamais eu de bornes, et n’en auront jamais aussi long-temps que je vivrai. Que le ciel lui accorde une longue vie ; elle l’emploie si bien pour le bonheur et l’édification de toute la ville qu’elle habite ! Elle m’aime de l’amour le plus profond, et bien plus que jamais je ne l’ai mérité. Aussi le spectacle de son immense et sincère douleur, quand je me séparai d’elle, me laissa dans le cœur une amertume que j’y retrouve encore.

Dès que je fus sorti des états du roi de Sardaigne, je crus sentir que je respirais plus à l’aise, tant pesait lourdement encore sur ma tête ce qui pouvait rester du joug natal que déjà pourtant j’avais brisé. C’est au point que pendant le peu de temps que j’y demeurai, chaque fois qu’il m’arrivait de me trouver en face de quelques personnages influens du pays, j’avais plus l’air à mes yeux d’un affranchi que d’un homme libre. Je ne pouvais m’empêcher de me rappeler le mot admi-