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pas de me recevoir avec la grâce et l’extrême amabilité qui lui sont naturelles. C’était, il règne encore[1], Victor Amédée II, fils de Charles Emmanuel, sous le règne de qui je suis né. Quoique j’aime fort peu les rois en général, et les rois absolus encore moins que les autres, je dois pourtant dire, pour être sincère, que la race de nos princes est excellente en somme, et surtout quand on la compare à presque toutes celles qui règnent aujourd’hui en Europe. J’avais pour eux au fond du cœur plus d’affection que d’éloignement ; car ce prince, et le dernier qui l’a précédé sur le trône, n’ont jamais eu que de fort bonnes intentions, ont toujours mené la conduite la plus sage et la plus exemplaire, et ont fait ou font encore à leur pays plus de bien que de mal. Toutefois, quand on vient à songer et à sentir vivement que le bien et le mal que font les rois dépendent uniquement de leur volonté, il faut frémir et se sauver. Et c’est ce que je fis au bout de quelques jours, ce qu’il en fallut pour revoir mes parens et mes connaissances de Turin, et pendant la meilleure partie de ce peu de jours, m’entretenir avec charme et profit pour moi, avec mon incomparable ami, l’abbé de Caluso, qui remit aussi un peu d’ordre dans ma tête, et me tira de la léthargie où l’écurie m’avait plongé, et pour ainsi dire enseveli.

  1. Il ne faut pas oublier qu’Alfieri écrivait, vers 1790, cette partie de ses Mémoires.