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la marche de quatorze bêtes entre ces autres Thermopyles, que les cinq actes d’une tragédie.

Mes chevaux, grâce à leur jeunesse, à mes soins paternels et à une fatigue modérée, étaient pleins de feu et de vivacité ; il n’en était que plus scabreux de les conduire sans accident par ces montées et ces descentes. Je pris donc à Lanslebourg autant d’hommes que j’avais de chevaux, chacun ayant le sien qu’il devait guider à pied, et en lui tenant la bride très-courte. Attachés à la queue l’un de l’autre , ils escaladaient la montagne avec leurs hommes ; mais, de trois en trois, j’avais interposé un de mes palefreniers qui, monté sur un mulet, surveillait les trois chevaux qui le précédaient et dont la garde lui était confiée : et ainsi de trois en trois. Au milieu de la marche se tenait un maréchal de Lanslebourg, avec des clous et un marteau, des fers et des bottes de rechange, pour venir au secours des pieds qui pourraient se déferrer, ce qu’il fallait craindre surtout parmi ces grosses pierres. Moi enfin, en qualité de chef de l’expédition, j’arrivais le dernier, monté sur Frontin, le plus petit et le plus léger de mes chevaux, et ayant à mes côtés deux adjudans de route, piétons très-agiles, que j’envoyais de la queue porter mes ordres à la tête et au centre. Nous arrivâmes ainsi le plus heureusement du monde au sommet du Mont-Cenis ; mais quand nous fûmes pour descendre en Italie, comme on sait que dans les descentes les chevaux ne manquent jamais de s’égayer, de hâter le pas, et même de cabrioler inconsidérément, j’a-