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six de trait. Et comme plusieurs poulains m’étaient morts successivement ou avaient mal réussi, et que j’en rachetais deux pour un qui mourait, à la fin de mars 1784, il se trouva qu’il m’en restait quatorze. Cette passion furieuse, qui couvait en moi sous la cendre depuis bientôt six ans, irritée par cette longue privation, privation complète ou partielle, s’était si violemment rallumée dans mon cœur et dans mon imagination, que me raidissant contre les obstacles, et voyant que de dix chevaux que j’avais achetés, j’en avais perdu cinq en si peu de temps, j’arrivai à quatorze, précisément comme j’avais poussé mes tragédies à quatorze, ne voulant d’abord en faire que douze. Les tragédies avaient épuisé mon esprit, les chevaux vidèrent ma bourse ; mais la distraction de tous ces chevaux me rendit, avec la santé, le courage de recommencer à faire des tragédies et d’autres ouvrages. Je n’eus pas si grand tort de dépenser tout cet argent, puisqu’il me servit aussi à racheter ma verve et mon élan, qui languissaient dès que j’étais à pied ; et j’eus d’autant mieux raison de le dépenser que je me trouvais l’avoir en espèces sonnantes. Les trois premières années qui suivirent la donation de mes biens, j’avais vécu en avare ; les trois dernières, j’avais fait une dépense convenable mais modérée. J’avais donc alors entre les mains une somme assez ronde que j’avais épargnée : c’était tout le produit de mes rentes viagères de France, auxquelles je n’avais point touché. Ces quatorze amis m’en prirent une grande partie qu’il fallut débourser pour les