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mais ils étaient incapables de les y trouver. Ils se contentèrent donc de m’apporter quelques mots qui, disaient-ils, étaient passés de mode, quelques tours inaccoutumés, ou trop concis, ou obscurs, ou durs à l’oreille. Enrichi de si rares connaissances, imbu de si profondes doctrines, éclairé dans l’art tragique des lumières de ces savans maîtres, je m’en retournai à Sienne. Là je me déterminai, autant pour m’imposer une occupation forcée que pour me distraire de mes pensées douloureuses, de faire continuer sous mes yeux l’impression de mes tragédies. Lorsque je rapportai à mon ami les connaissances et les lumières que j’étais allé demander aux divins oracles de l’Italie, et particulièrement à ceux de Pise et de Florence, nous nous donnâmes un moment la comédie à leurs frais, avant de leur apprêter de quoi rire encore aux dépens de mes tragédies nouvelles. Je me mis à cette impression avec chaleur, mais avec trop de hâte ; car à la fin de septembre, c’est-à-dire en moins de deux mois, je fis paraître mes six tragédies en deux volumes, qui, avec le précédent, où il y en a quatre, forment l’ensemble de cette première édition. Il me fallut alors apprendre, par une dure expérience, ce que je ne savais pas encore. Quelques mois auparavant, j’avais fait connaissance avec les journaux et les journalistes. Cette fois ce dut être avec les censeurs de manuscrits, avec les réviseurs d’impression, les compositeurs, les pressiers et les proies. Ces trois derniers, du moins, on peut en les payant les rendre très-dociles ; mais les réviseurs et les censeurs, tant