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prendre pour un grand homme, m’animait plus que tout le reste, et sans cesse m’excitait à tout tenter pour le devenir. Aussi, après deux mois écoulés dans l’enivrement de cet amour-propre de jeune homme, je me ravisai, et ayant repris de moi-même l’examen de mes quatorze tragédies, je vis combien d’espace encore il me restait à parcourir, avant d’atteindre au but si ardemment désiré. Toutefois, comme je n’avais pas atteint ma trente-quatrième année, et que j’étais jeune encore dans l’arène littéraire, où je n’apportais que huit années d’études, je m’affermis plus fortement que jamais dans l’espoir d’obtenir un jour la palme. Mon visage, je ne puis le nier, laissait percer un rayon de cette noble espérance, que rien ne trahissait pourtant dans mon langage.

À plusieurs reprises déjà, j’avais lu successivement toutes ces tragédies dans différens cercles où toujours se trouvaient mêlés des hommes et des femmes, des lettrés et des ignorans, des Welches et des gens accessibles au langage de la passion. En lisant ainsi mes productions, ce que je cherchais, c’était moins des éloges que mon avantage. Je connaissais assez les hommes et le beau monde pour ne pas croire stupidement et ne pas me fier à ces louanges des lèvres que l’on ne refuse presque jamais à un auteur qui lit ses ouvrages, qui ne vous demande rien, et s’époumonne, pour vous plaire, dans un cercle de personnes polies et bien élevées. J’estimais donc ces louanges à leur juste valeur et rien de plus ; mais j’appréciais tout autrement le