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dies si fort avancées, j’espérai pouvoir, cette année, y mettre la dernière main. Dès la première, j’avais résolu de ne pas dépasser le nombre de douze, et je les avais toutes conçues, développées, versifiées, et reversifiées pour la plupart. Je continuai donc, et sans interruption, à les reversifier, et à limer celles qui restaient encore. J’y travaillai toujours, dans l’ordre même où je les avais conçues et développées.

Cependant, vers le mois de février 1782, un jour que j’avais mis la main sur la Mérope de Maffei, et que, pour voir si j’avais gagné quelque chose en fait de style, j’en lisais çà et là des fragmens, je fus saisi d’une soudaine indignation et d’une vive colère, en songeant que notre pauvre Italie était, en fait de théâtre, si indigente et si aveugle que l’on regardât, que l’on donnât cette pièce comme la meilleure de nos tragédies et la seule bonne, non pas seulement de celles qui existaient alors (je l’accorde aussi volontiers), mais de toutes celles qui se pourraient faire en Italie ; et immédiatement passe devant mes yeux comme un éclair, une autre tragédie du même nom et sur le même sujet, beaucoup plus simple, plus chaude, plus saisissante que celle-ci. Voilà comment elle s’offrit à moi et s’imposa, pour ainsi dire, à mon imagination. Si j’ai réussi à la rendre comme elle m’apparut, la postérité en décidera. Si jamais rimeur a pu s’écrier avec quelque raison : est Deus in nobis, j’ai pu certes le dire aussi, quand j’ai conçu, développé, versifié ma Mérope, qui ne me donna ni paix, ni trêve, qu’elle n’eût ob-