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laissait dans son palais. J’aurais voulu retourner à Rome, et je sentais trop bien que la bienséance me le défendait encore. Les combats que se livrent dans un cœur tendre et honnête l’amour et le devoir, non, il n’est pas pour l’homme de supplice plus terrible. Je laissai donc passer tout le mois d’avril, et j’avais pris la résolution de traîner encore de la même manière tout le mois de mai ; mais vers le 12 de ce mois, je ne sais trop comment il se fit que je me retrouvai à Rome. À peine arrivé, instruit, inspiré par l’amour et la nécessité, je repris et achevai le cours de mes servilités et de mes petites ruses courtisanesques, pour obtenir d’habiter la même ville que mon amie adorée, et de l’y voir. Ainsi, après tant d’efforts, de travaux, de fureurs pour me voir libre, me voilà transformé tout d’un coup en un homme qui fait des visites, qui salue jusqu’à terre, et fait à Rome métier de flatter, comme un candidat qui veut se pousser dans la prélature. Je fis tout, me pliai à tout, et je restai à Rome, toléré par les doctes éminences, et même soutenu par ces prestolets, qui, à tort ou raison, se mêlaient des affaires de mon amie. Heureusement qu’elle ne dépendait de son beau-frère et de sa triste séquelle que dans les choses de pure convenance, et nullement pour sa fortune, qui, placée hors de leur atteinte, était fort honorable, et alors parfaitement sûre.