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brement qu’il n’aurait pu le faire à Turin, où sans cesse assailli d’une nuée de frères, de neveux, de cousins, et d’importuns d’un autre genre, grâce à sa débonnaire et complaisante nature, il appartenait aux autres beaucoup plus qu’à lui-même. Pendant une année presque entière qu’il resta à Florence, nous nous voyions tous les jours, et nous passions ensemble plusieurs heures de l’après-diner. Sa conversation pleine d’agrément et de savoir, m’enseigna beaucoup plus de choses que je n’aurais pu en apprendre à pâlir durant des années sur une quantité de livres. Je lui garderai entre autres une reconnaissance éternelle pour m’avoir appris à goûter, à sentir, à apprécier la belle et immense variété des vers de Virgile ; jusque alors je m’étais borné à les lire et les comprendre. Qu’est cela ? autant dire rien, quand il s’agit d’un tel poète, et du profit que l’on peut trouver à le lire. J’ai tenté depuis (je ne sais si j’y ai réussi) de faire passer dans le vers libre de mon dialogue cette continuelle variété d’harmonie qui fait que rarement un vers ressemble à celui qui le précède ou le suit, et autant que le permet le génie de notre langue, ces artifices de coupe et ces transpositions par où cette merveilleuse-versification de Virgile ressemble si peu à celle de Lucain, d’Ovide, et de tant d’autres. Ce sont ces différences qu’il est malaisé d’expliquer par la parole et qui ne sont bien senties que par les gens de l’art. J’avais grand besoin, en effet, d’amasser çà et là un trésor de tours et de formes qui aidassent le mécanisme de mon vers tragique à