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serte des Carmes, on me conduirait ainsi à l’église de Saint-Martin, qui était fort éloignée de la maison, située au beau milieu de la ville, et fréquentée de préférence, vers le milieu du jour, par tous les oisifs du beau monde. Hélas ! quelle douleur fut la mienne ! Prières, larmes, désespoir, tout fut inutile. Cette nuit, que je crus devoir être la dernière de ma vie, loin de pouvoir fermer l’œil un seul instant, je ne me rappelle pas en avoir jamais, même dans les circonstances les plus pénibles, essuyé une plus cruelle. L’heure fatale arriva : coiffé de ce réseau maudit, pleurant et sanglotant, je me mis en route, suivant mon précepteur, qui me tirait par le bras, et poussé par le domestique, qui suivait. Je traversai ainsi deux ou trois rues où il n’y avait personne ; mais à peine fûmes-nous entrés dans les rues fréquentées qui avoisinaient la place de l’église de Saint-Martin, qu’aussitôt je cessai de pleurer et de crier ; je cessai de me faire traîner ; au contraire, je cheminai en silence d’un pas ferme, me serrant contre l’abbé Ivaldi, dans l’espoir de passer inaperçu, à demi caché sous le coude de mon maître, car ma petite taille s’élevait à peine jusque là. J’arrivai au beau milieu de l’église, mené par la main comme un aveugle que j’étais, car j’avais fermé les yeux en entrant, et je ne les rouvris qu’après m’être agenouillé au lieu où je devais entendre la messe ; et, même, une fois ouverts, je les tins constamment baissés, de manière à ne distinguer personne ; et, redevenant aveugle quand il fallut sortir, je retournai à la maison avec la mort