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vel obstacle, c’était que, mon amie ne sachant presque point alors l’italien, j’avais été forcé de retomber dans le français que je parlais, que j’entendais sans cesse parler dans sa maison. Pendant le reste du jour, je cherchais ensuite un contre-poison à mes gallicismes dans nos excellens et ennuyeux prosateurs du quatorzième siècle, et j’accomplis dans ce but des travaux qui n’étaient pas poétiques, mais qui auraient fait honneur à un âne. Peu à peu cependant je finis par obtenir que ma bien-aimée apprît parfaitement l’italien, pour le lire et pour le parler, et elle y réussit autant et mieux qu’aucune autre étrangère qui jamais s’en soit mêlée. Elle le parle même avec une prononciation beaucoup meilleure que n’est celle de toutes les Italiennes qui ne sont pas Toscanes, et qui, chacune à sa manière, Lombardes ou Vénitiennes, de Rome ou de Naples, déchirent impitoyablement toute oreille qui a quelque habitude de l’accent expressif et suave du dialecte toscan. Mais quoique mon amie ne parlât jamais une autre langue avec moi, sa maison toujours pleine d’ultramontains exposait mon pauvre toscan à un martyre de toutes les heures. Ainsi, à beaucoup d’autres contrariétés, il me fallut encore ajouter celle d’être resté alors près de trois ans à Florence pour y entendre plus de français que de toscan ; et dans presque tout le cours de ma vie jusqu’à ce jour, le sort m’a condamné à trouver sur mon chemin cet idiome barbare. Si donc j’ai pu réussir à écrire avec correction, avec pureté, et dans le goût toscan (sans toutefois le rechercher