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de quelque nouvelle chicane de mon beau-frère, qui ne manquait jamais de mettre dans la bouche du roi, et sous son nom, ses petites objections personnelles, j’avais fini par lui répondre avec colère et mépris que s’ils ne voulaient pas de mes biens comme don, ils étaient libres de les prendre ; car de ma vie je ne retournerais à Turin, et n’avais que faire d’eux, de leur argent et de leur roi, qu’ils gardassent le tout et qu’on n’en parlât plus. J’étais en effet très-décidé à m’expatrier pour toujours, dussé-je me voir réduit à demander l’aumône. Ainsi, de ce côté, tout étant doute et incertitude, et quant à l’argent de mes meubles, ne me voyant sûr de rien, ma tête s’exalta, et je n’eus, devant les yeux que la hideuse pauvreté jusqu’au moment où m’arrivèrent les lettres de change d’Élie, et que, me trouvant en possession de cette petite somme, je cessai de craindre pour ma vie de chaque jour. Dans ces accès d’une imagination malade, le métier que j’envisageais comme le plus propre à me tirer d’affaire était celui de dresseur de chevaux, dans lequel je suis ou me crois du moins passé maître, et c’est assurément là un des moins serviles. C’était aussi celui qui semblait devoir se combiner le mieux avec la profession de poète, puisque après tout, pour écrire des tragédies on était moins à l’aise à la cour que dans une écurie.

Mais déjà, et avant que de tomber dans ces perplexités dont la cause était au fond plus imaginaire que réelle, la donation à peine faite, j’avais aussitôt renvoyé tous mes gens, hormis un seul pour mon ser-