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sible de le retrouver ensuite sous ma plume. Les louanges des doctes amis qui m’écoutaient me persuadèrent que, pour ce qui était des passions et de l’intrigue, j’avais peut-être rencontré la tragédie ; mais mon oreille et mon intelligence me convainquirent que, quant au style, elle n’y était pas. Et nul autre ne pouvait en juger comme moi, à une première audition ; car cette curiosité inquiète, émue, que ne manque jamais d’exciter une tragédie que l’on ne connaît pas encore, fait que l’auditeur, quelle que soit d’ailleurs la sûreté de son goût, ne peut, ni ne veut, ni ne doit prendre sérieusement garde au style. Tout ce qui n’est pas détestable, passe toujours inaperçu et sans trop déplaire. Mais connaissant d’avance la tragédie que je lisais, j’étais trop bien averti, chaque fois que, trahis ou affaiblis, la pensée ou le sentiment ne rencontraient pour se produire qu’une expression dépourvue de chaleur, de vérité, de précision, de force ou de pompe.

Une fois convaincu que je n’étais pas encore au point, et que si je n’y arrivais pas, c’est qu’il y avait encore pour moi trop de distractions à Turin, et point assez de solitude pour la méditation, je résolus tout-à-coup de retourner en Toscane, où mon langage ne pouvait manquer à la longue de prendre une allure plus italienne. À Turin, il est vrai, je ne parlais pas français ; mais notre dialecte piémontais, que j’employais sans cesse, et que j’entendais parler tout le jour, valait-il beaucoup mieux pour apprendre à parler, à penser et à écrire en italien ?