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raison que depuis un an j’avais cessé la lecture de Shakspeare, sans compter que j’avais le malheur de le lire dans une traduction française. Plus mon esprit s’accommodait des allures de ce poète, dont au reste je savais fort bien distinguer tous les défauts, plus j’eus à cœur de m’en abstenir.

J’avais à peine achevé d’écrire l’Antigone en prose, qu’enflammé par la lecture de Sénèque, je conçus et enfantai tout ensemble ces deux tragédies jumelles, l’Agamemnon et l’Oreste. Avec tout cela, il ne me semble pas que l’on puisse y voir un larcin fait à Sénèque. À la fin de juin, je quittai Pise, et m’en allai à Florence où je demeurai tout le mois de septembre. Je m’y appliquai de toutes mes forces à me rendre maître de la langue parlée, et à force de m’entretenir chaque jour avec des Florentins, j’en vins passablement à bout. Je commençai dès cette époque à penser presque exclusivement dans cet idiome si élégant et si riche ; c’est la première, l’indispensable condition pour le bien écrire. Pendant mon séjour à Florence, je remis en vers le Philippe pour la seconde fois d’un bout à l’autre, sans vouloir même jeter un coup d’œil sur les premiers vers, et pour les refaire ne me servant que de la prose. Mais j’avançais très-lentement, souvent même je croyais perdre, au lieu de gagner. Dans le courant du mois d’août, me trouvant, un matin, au milieu d’un cercle de gens de lettres, quelqu’un rappela par hasard l’anecdote historique de don Garcia, mis à mort par son propre père Cosme premier. Je fus frappé de ce fait, et comme il n’est pas