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profès quand je n’étais que novice ; non que je voulusse ou qu’il me fût possible de trancher du docteur, mais j’ignorais tant et tant de choses que j’en avais honte avec de nouveaux visages ; et à mesure que se dissipaient les ténèbres de mon esprit, il me semblait voir se dresser plus gigantesque le fantôme de cette fatale et tenace ignorance ; mais tout aussi grande était mon audace. Ainsi, pendant que d’une part je rendais au savoir d’autrui l’hommage qui lui était dû, de l’autre, je ne me laissais nullement abattre par le sentiment de mon ignorance, bien convaincu que pour composer des tragédies, ce qu’il faut savoir avant tout, c’est sentir fortement, chose qui ne s’apprend pas. Il me restait à apprendre (et certes c’était encore beaucoup) l’art de faire sentir aux autres ce que moi-même je croyais sentir. Dans les six ou sept semaines que je demeurai à Pise, je conçus et j’écrivis en assez bonne prose toscane la tragédie d’Antigone, et je réussis à mettre le Polynice en vers, un peu moins mal que le Philippe. Je crus alors pouvoir lire mon Polynice à quelques-uns de ces maîtres de l’université. Ils se montrèrent assez contens de la tragédie dont ils censurèrent çà et là quelques expressions, mais non aussi sévèrement que mon œuvre l’eût mérité. Il y avait de loin en loin dans ces vers des choses heureusement dites ; mais le style dans son ensemble était encore, à mon sens, d’une pâte languissante, triviale et molle ; ces professeurs, au contraire, qui lui reprochaient d’être parfois incorrect, le trou-